« Heu ! Nunc ubi manet… »
Heu ! Nunc ubi manet contemptus Fortunae ?
Est ubi cor victor tot miseriarum,
Ill(a) honesta vitae cupido deorum,
Et honestus ardor quem nesciunt turbae ?
Ubi voluptates vesperi perceptae,
Quas Musae mi dabant arborum per umbras,
Solutis vinculis ad secretas oras,
Cum choros ducebam sub radiis lunae ?
Hodie Fortuna vitam domat meam,
Et animus, olim regens sortem suam ;
Nunc fortunae servit multisque taediis ;
Operum gloriam jam nihili puto,
Ardorem divinum diu jam dimitto,
Et Musae fugiunt procul ab oculis.
« Las ! où est maintenant… »
Las ! où est maintenant ce mépris de Fortune,
Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l’immortalité
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?
Où sont ces doux plaisirs qu’au soir, sous la nuit brune,
Les Muses me donnaient, alors qu’en liberté,
Dessus le vert tapis d’un rivage écarté,
Je les menais danser aux rayons de la lune ?
Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,
Et mon cœur qui soulait être maître de soi
Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuient.
De la postérité je n’ai plus le souci ;
Cette divine ardeur, je ne l’ai plus aussi,
Et les Muses de moi comme étranges s’enfuient.
Joachim du Bellay (1822 - 1560, Les Regrets (1558)
(Ronsardi amicus, Du Bellay tristem vitam degit : surdus factus cum adulescens esset, Romam cun avunculo profectus, et spe frustatus, versus scripsit ubi canit maestitiam suam et spei amissionem.)